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LE RECIT DU SIEGE DE TERMES
(début août-23 Novembre 1210)

par Pierre des Vaux de Cernay, dans l’ «Historia Albigensis»

L’approche d’une grande troupe de Bretons fut annoncée au comte, Simon de Montfort. Celui-ci tint conseil et confiant dans l’appui de Dieu, marcha vers le château de Termes. Pendant que le comte était en route, des chevaliers qui se trouvaient à Carcassonne tirèrent les machines de guerre qui étaient dans la ville et les firent placer hors des remparts afin d’être amenées au comte qui se hâtait d’assiéger Termes. Quand nos ennemis postés à Cabaret apprirent que nos machines étaient placées hors des murs de Carcassonne, ils vinrent au milieu de la nuit en troupe nombreuse et bien armée pour essayer de les détériorer à coup de hache. A leur approche, les nôtres sortirent de la ville et, quoique très peu nombreux, attaquèrent les ennemis, les mirent vigoureusement en fuite et poursuivirent les fuyards de tous côtés à une grande distance. La rage de nos adversaires n’en fut pas calmée, car ils revinrent cette même nuit, un peu avant le point du jour pour essayer d’abîmer les machines. Quand les nôtres s’en aperçurent, ils firent une sortie et les mirent en fuite encore plus loin et plus vigoureusement que la première fois : à deux ou trois reprises, ils faillirent s’emparer du seigneur de Cabaret, Pierre Roger, mais celui-ci pris de peur se mit à crier « Montfort, Montfort » avec les nôtres, comme s’il était l’un d’entre eux. Il échappa ainsi, se réfugia dans les montagnes et ne regagna Cabaret que deux jours après.  

Description de Termes : Termes, situé en territoire Narbonnais, à cinq lieues de Carcassonne, était d'une force étonnante et incroyable. Il semblait humainement tout à fait imprenable : il était bâti au sommet d’une haute montagne sur un grand rocher naturel, entouré de ravins profonds et inaccessibles où couraient des torrents qui entouraient le château : ces ravins étaient bordés de rochers si hauts et si réfractaires pour ainsi dire à la descente que celui qui voulait atteindre le château devait d’abord se laisser glisser dans le ravin et ensuite ramper pour ainsi dire vers le ciel. De plus, à un jet de pierre du château un piton isolé portait un fortin de petite dimension, mais d’une grande solidité nommé Termenet. Ainsi disposé, le château n’était abordable que d’un seul côté où les rochers étaient moins hauts et plus accessibles. Le seigneur de Termes était un chevalier nommé Raymond, vieillard livré à un sens réprouvé et hérétique avéré. En un mot, il ne craignait ni Dieu ni les hommes. Il avait une telle confiance dans sa forteresse qu’il combattait tantôt le comte de Toulouse, tantôt son propre suzerain, le vicomte de Béziers. Quand ce tyran apprit que notre comte se proposait d’assiéger Termes, il recruta le plus grand nombre de chevaliers possibles, approvisionna le château d’une grande quantité de vivres et autres choses nécessaires à la défense et se prépara à la résistance.

Début du siège : Arrivé devant Termes, notre comte commença le siège avec peu de troupes et s’installa dans une partie des constructions. Les défenseurs, nombreux et bien armés, nullement intimidés par notre petit camp, sortaient et rentraient librement pour chercher de l’eau et tout ce qu’il leur fallait sous les yeux des nôtres qui étaient incapables de les en empêcher. Pendant ces allées et venues, des croisés du nord arrivaient au camp de jour en jour, peu nombreux et goutte à goutte. Dès que nos ennemis voyaient approcher ces croisés, ils montaient sur les remparts et s’écriaient ironiquement pour se moquer des nôtres, comme les nouveaux venus étaient en petit nombre et sans armes : « Fuyez de la face du camp, fuyez de la face du camp ». Peu après, des croisés de la France du nord et des pays germaniques commençaient à arriver par troupes nombreuses. A cette vue, nos ennemis prirent peur, cessèrent leurs moqueries et devinrent moins présomptueux et moins hardis.  

Notre comte faisait dresser des pierrières qui bombardèrent le premier rempart du château : les nôtres s’occupaient tous les jours aux travaux du siège. Les machines mises en batterie près du château bombardaient tous les jours les murailles. Dès que les nôtres s’aperçurent que le premier rempart était affaibli par le jet continuel des pierres, ils s’armèrent pour prendre d’assaut le premier faubourg : quand les ennemis les virent s’approcher des remparts, ils incendièrent ce faubourg et battirent en retraite vers le faubourg supérieur : les nôtres pénétrèrent dans le premier faubourg mais ils en furent promptement chassés par une sortie de l’ennemi.  

Les choses en étaient là, quand les nôtres remarquèrent que la tour de Termenet, déjà nommée, garnie de chevaliers, entravait la prise du château dont elle était voisine : ils cherchèrent le moyen de s’en emparer. Au pied de la tour, bâtie, comme nous l’avons dit, au sommet d’un piton rocheux, ils mirent des sentinelles pour empêcher les défenseurs d’aller au château et la garnison du château de porter secours en cas de besoin à ceux de la tour. De plus, quelques heures plus tard, les nôtres installèrent un mangonneau, non sans extrême difficulté ni périls dans un endroit (presque) inaccessible entre la tour et le château. A son tour, la garnison du château dressa un mangonneau qui lançait de gros projectiles sur le nôtre sans toutefois pouvoir l’endommager. Notre mangonneau bombardait la tour sans discontinuer : les défenseurs se rendaient compte qu’ils étaient bloqués et que ceux du château ne pouvaient leur porter aucun secours. Une nuit, saisis de peur, ils cherchèrent leur salut dans la fuite et évacuèrent les lieux. Aussitôt que les sergents de l’évêque de Chartres, qui faisaient le guet à la base, s’en aperçurent, ils entrèrent dans la tour et arborèrent au faite la bannière de leur évêque. Pendant ce temps, d’un autre côté, nos pierrières bombardaient sans cesse les murailles du château. Toutefois, aussitôt que nos ennemis, en homme pleins de courage et d’ingéniosité, s’apercevaient que nos machines avaient endommagé une de leurs murailles, ils élevaient tout près et à l’intérieur une barricade de pierres et de bois : aussi, chaque fois que les nôtres ouvraient une brèche, ils ne pouvaient avancer à cause de la barricade que l’ennemi avait élevée. Comme il nous est impossible de redire toutes les péripéties de ce siège, nous dirons en un mot que les assiégés n’abandonnèrent jamais une de leurs murailles sans en construire une autre à l’intérieur comme je l’ai dit plus haut.  

Sur ces entrefaites, les nôtres installèrent un mangonneau près des remparts à l’abri d’un rocher dans un endroit presque inaccessible. Lorsqu’il fonctionnait, il causait beaucoup de dégâts chez l’ennemi. Notre comte préposa trois cents sergents et cinq chevaliers à la garde de ce mangonneau dont la sécurité inspirait beaucoup de craintes : les nôtres en effet, n’ignoraient pas que leurs adversaires mettraient tout en œuvre pour détruire un engin si nuisible pour eux : et puis, les croisés du camp n’auraient pu en cas de besoin secourir les gardiens du mangonneau à cause de sa position dans un lieu d’un accès si difficile. Un jour, les assiégés, au nombre de quatre vingts, sortirent du château : armées de boucliers, ils accouraient pour détruire la machine : derrière eux une infinité d’ennemis apportaient du bois, du feu et toutes sortes de combustibles. Pris de panique, les trois cents sergents de garde près de la machine se sauvèrent tous ; bientôt, il ne resta que les cinq chevaliers. A l’approche des adversaires, tous nos chevaliers prirent la fuite, à l’exception d’un seul, Guillaume de l’Ecureuil. Celui-ci, voyant les ennemis se mit avec la plus grande difficulté à grimper sur la roche face à eux : mais ils se précipitèrent sur lui tous à la fois. Lui se défendait avec une bravoure remarquable. Les ennemis, comprenant alors qu’ils n’arriveraient pas à le faire prisonnier, le renversèrent avec leurs lances sur le mangonneau et jetèrent sur lui du bois sec et du feu, mais notre vaillant chevalier se relève aussitôt et disperse le feu : l’engin demeure intact. Quand les nôtres jugèrent que notre chevalier ne pourrait échapper, puisque personne ne pouvait le secourir, ils créèrent une diversion et se dirigèrent vers la partie opposée des remparts comme pour donner l’assaut. Alors, les ennemis desserrèrent leur étreinte autour de Guillaume de l’Ecureuil et se replièrent dans le château.  
Entre temps, le noble comte de Montfort souffrait d’une détresse si grande et si pressante que très souvent il n’avait rien à manger : le pain même faisait défaut à plusieurs reprises : nous le savons de sources sûre : il lui arriva de s’absenter volontairement quand approchait le moment des repas et, de honte, il n’osait rentrer sous sa tente parce qu’il était l’heure de manger et qu’il n’avait pas seulement de pain.  

Projet de capitulation : A ce moment, nos ennemis manquèrent d’eau. Leurs voies d’accès étant bloquées depuis longtemps par les nôtres, ils ne pouvaient plus sortir pour puiser de l’eau, et quand l’eau manqua, le courage et l’envie de résister leur manquèrent également. Ils parlementent avec les nôtres ils négocient la capitulation sur les bases suivantes : Raymond, seigneur de Termes promettait de livrer son château au comte pourvu que celui-ci lui laissât le reste de sa terre et lui rendit le château aussitôt après pâques. Pendant qu’on discutait les clauses de cette capitulation, les évêques de Chartres et de Beauvais, le comte Robert et le comte de Ponthieu s’apprêtèrent à quitter le camp. Notre comte voyant que le départ des susdits croisés allait le laisser presque seul, réduit à une telle extrémité, accepta, quoique à regret, la proposition de l’ennemi. Les nôtres parlementent de nouveau avec les assiégés : la capitulation est ratifiée et notre comte fit dire à Raymond, seigneur de Termes, de sortir du château et de lui livrer. Celui-ci refusa de sortir ce jour-là et s’engagea formellement à rendre son château le lendemain au début de la matinée.  

Un miracle ? La nuit suivante comme si le ciel était rompu et toutes ses cataractes ouvertes, il s’en échappa soudain une pluie si abondant que les assiégés, après avoir souffert du manque d’eau et offert de capituler pour ce motif, en furent saturés. Dès le commencement du jour, notre comte envoya un message à Raymond, seigneur de Termes, et lui ordonna de livrer son château conformément à la promesse de la veille. Mais celui-ci approvisionné abondamment de cette eau, dont la privation l’avait poussé à se rendre et voyant en outre les gens de l’armée se retirer, rompit en homme pétri d’inconséquence et de duplicité qu’il était, l’engagement qu’il avait pris. Toutefois, deux chevaliers sortirent du château et vinrent se rendre au comte parce que la veille ils avaient promis formellement à son maréchal de se constituer prisonniers. Quand le maréchal fut revenu auprès du comte et qu’il eut rapporté la réponse du seigneur de Termes, l’évêque de Chartres qui tenait à partir le lendemain conseilla de renvoyer encore le maréchal auprès de Raymond et de lui offrir la capitulation à n’importe quelles conditions pourvu qu’il livrât son château. pour convaincre plus facilement ledit Raymond, l’évêque de Chartres conseilla au maréchal d’emmener avec lui l’évêque de Carcassonne, qui était dans le camp pour ce motif qu’il était originaire du pays et qu’il était bien connu du tyran : de plus, parmi les assiégés se trouvait la mère de l’évêque (fameuse hérétique) et le frère de l’évêque, savoir Guillaume de Roquefort. Ce Guillaume était très cruel et autant qu’il était en lui un des pires ennemis de l’Eglise. Ainsi donc l’évêque de Carcassonne et le maréchal du comte se rendirent auprès de Raymond : aux paroles ils ajoutèrent les prières et aux prières les menaces : ils s’efforcent avec persistance d’amener ce tyran à écouter leurs conseils et à se soumettre de la manière dont on l’a dit plus haut à notre comte ou plutôt à Dieu même, mais celui dont le maréchal avait déjà éprouvé l’entêtement et l’obstination témoigna envers l’évêque de Carcassonne et le maréchal d’un entêtement plus obstiné encore. Ledit Raymond ne voulut même pas tolérer que l’évêque eût un entretien secret avec son frère Guillaume. L’évêque et le maréchal, ayant échoué dans leur mission, revinrent auprès du comte.  

Reprise des combats et chute de Termes : Après le départ des susdits nobles et évêques, notre comte se voyant presque seul et à peu près abandonné, inquiet et troublé ne savait que faire. Lever le siège ? Il ne le voulait à aucun prix. Prolonger son séjour ? Cela lui était impossible, vu le grand nombre et l’armement de ses ennemis, l’insuffisance de ses propres troupes, en majorité non équipées. Comme nous l’avons dit plus haut, le gros de l’armée était parti avec les évêques et les comtes : le château était encore très fort : on estimait que seule une très puissante armée d’assiégeants était capable de s’en emparer : enfin l’hiver approchait, très rude d’ordinaire en ces régions : Termes était situé dans les montagnes, nous l’avons déjà dit : les pluies torrentielles, le vent qui tourbillonnait, la neige qui tombait en abondance rendirent cet endroit glacial et presque inaccessible. Un beau jour des croisés à pied survinrent de Lorraine. Le comte enchanté de leur arrivée, resserre le siège autour de Termes et sous l’impulsion du vénérable archidiacre Guillaume, les nôtres reprirent leur courage et leur activité. Ils traînèrent plus près des remparts les machines dont le rendement jusqu’ici avait été faible : ils les manœuvrèrent sans discontinuer et affaiblirent sensiblement les remparts. Après un bombardement prolongé qui affaiblit en grande partie les remparts et le donjon, le jour de la Sainte Cécile, le comte ordonna de creuser une tranchée et de la couvrir de claies, afin que les mineurs puissent atteindre le rempart et en saper la base. Il travailla toute la journée à prendre ses dispositions, il jeûna aussi, et, à la nuit tombante, veille de la Saint Clément, il rentra sous la tente. Par une disposition de la clémence divine et le secours du bienheureux Clément, les assiégés, saisis de crainte et complètement désespérés, sortirent tout à coup du château et essayèrent de fuir. Quand les nôtres au camp s’en aperçurent, ils donnèrent l’alarme et commencèrent à courir çà et là pour encercler les fuyards. Pourquoi tarder davantage ? Beaucoup réussirent à s’échapper, quelques-uns furent faits prisonniers, plusieurs furent mis à mort. Un croisé chartrain, pauvre et non noble qui courait avec les nôtres en poursuivant les fuyards, fit prisonnier, par une disposition de la justice divine Raymond, seigneur du château, qui s’était caché en quelque retraite, et il le conduisit au comte qui le reçut comme un don précieux et au lieu de le faire mourir le fit enfermer au fond d’une tour de Carcassonne où pendant plusieurs années il subit le châtiment et connut des misères qu’il avait bien méritées.

                     

Miracles :  Au sujet de Termes, il arriva un événement que nous ne devons pas passer sous silence. Notre comte faisait un jour conduire un petite engin appelé chat en langue vulgaire, destiné à saper les remparts. Comme le comte se tenait près de l’engin et qu’il causait avec un chevalier, le bras passé familièrement au cou de celui-ci, une énorme pierre lancée par un mangonneau des ennemis arriva de très haut avec une grande force et frappa à la tête ledit chevalier. Par la merveilleuse opération divine, le comte qui étreignait le chevalier fut épargné, tandis que celui-ci, frappé d’un coup mortel expirait. Autre fait digne de mémoire. Un dimanche, notre comte était dans sa tente et écoutait la messe : un sergent se tenait derrière lui, presque contre son dos : la clémente providence de Dieu l’avait ainsi disposé. Tout à coup, une flèche lancée par une baliste ennemie frappa le sergent et le tua. Personne ne peut mettre en doute l’intervention divine. Le sergent debout derrière lui reçut la flèche mais le bon Dieu conserva à la Sainte Eglise son valeureux champion.


 


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